MÉMOIRE
sur le projet de loi no 59 visant à moderniser la santé et la sécurité au travail
Présenté par
La Fédération des employés du préhospitalier du Québec
Devant
La Commission de l’économie et du travail
Ce 9 février 2021
La Fédération des employés du préhospitalier du Québec (FPHQ) (ci-après : la « fédération ») remercie la Commission de l’économie et du travail de lui donner la possibilité d’exprimer son opinion sur le projet de loi visant à moderniser la santé et la sécurité au travail (ci-après : le « projet de Loi 59 »).
La fédération regroupe quarante-six (46) associations syndicales, représentant plus de mille cinq cents (1 500) paramédics et répartiteurs qui assument des services ambulanciers au Québec. La fédération est dûment accréditée suivant le Code du travail pour représenter les salariés de chaque association syndicale qu’elle regroupe. Les services ambulanciers sont offerts par des entreprises privées et coopératives qui sont représentées par quatre (4) associations patronales.
La corporation d’Urgences-santé qui oeuvre sur les territoires de Montréal et Laval relève directement du Ministère de la Santé et des Services sociaux.
1. INTRODUCTION
Dans le cadre du projet de Loi 59, la fédération souhaite présenter ses préoccupations et ses attentes eu égard notamment aux risques de la profession sur la santé mentale des membres, plus encore nous souhaitons exposer certaines problématiques importantes dans le cadre des modifications législatives touchant les lésions musculo-squelettiques. L’objectif premier de cette présentation est de sensibiliser les différents intervenants aux enjeux de santé mentale chez nos membres.
Nous soumettons que les avancées scientifiques en matière de santé mentale ne sont pas reflétées par les dispositions actuelles des lois régissant la santé et la sécurité au travail. La modernisation de ses dispositions doit donc pouvoir correspondre aux données scientifiques actuelles.
La fédération nourrissait certaines attentes relativement à l’indemnisation des travailleurs en matière de troubles mentaux. Nous ne constatons malheureusement pas d’avancée à ce sujet.
Finalement, nous constatons également des problématiques au niveau des troubles musculo-squelettiques. Les modifications législatives dans ce domaine constituent un recul important quant à la reconnaissance par la CNESST de ces diagnostics.
2. LA PRÉVALENCE DE CERTAINS TROUBLES MENTAUX RELIÉS AU TRAVAIL
Dans le cadre de la réforme de la Loi sur les accidents de travail et les maladies professionnelles (ci-après : la « LATMP »), la fédération souhaite vous entretenir sur la question des lésions psychologiques.
Nous constatons que le présent projet de Loi 59 intègre une présomption à son annexe pour faciliter la preuve des travailleurs. Nous croyons fermement que cette présomption ne répond pas aux attentes des membres de notre organisation.
En effet, la présomption contenue à l’annexe dans le projet de Loi 59 limite l’utilité de cette présomption à la reconnaissance d’un seul diagnostic bien précis, celui de l’état de stress post-traumatique. Cependant, ce diagnostic n’est pas le seul à constituer une menace pour la santé des membres.
Tout d’abord, chez les répartiteurs médicaux d’urgence, les prévalences de certains types de troubles psychologiques ont été bien démontrées. Plus encore, les répartiteurs médicaux d’urgence vivent la détresse et l’horreur à distance. Pourtant, il est bien établi que la présence physique sur les lieux n’est pas un facteur qui atténue les effets que la relation d’aide peut avoir sur leur santé mentale.
Madame Cindy Fortin, dans sa thèse doctorale, rapportait les statiques suivantes (1) :
« 2.1 La prévalence de la fatigue de compassion et du traumatisme vicariant chez les intervenants de la relation d’aide Bien que les statistiques sur la fatigue de compassion et sur le traumatisme vicariant soient peu nombreuses, des résultats de recherches sur la santé mentale des intervenants permettent de mettre en lumière les risques associés aux professions d’aide. Une recension des écrits réalisée par Bell, Kulkarni et Dalton (2003) démontre que les travailleurs de différents milieux peuvent développer des symptômes de FC ou de TV tels que : a) les travailleurs aux urgences (Leseca, 1996), b) les infirmiers (Joinson, 1992), c) les policiers (Follette, Polusny & Milbeck, 1994), d) les personnes qui interviennent auprès des victimes d’agression sexuelle (Brady, Guy, Poelstra & Brokaw, 1999 ; Cunningham, 2003 ; Johnson & Hunter, 1997 ; Regehr & Cadell, 1999 ; Schauben & Frazier, 1995), e) les travailleurs des services de protection de la jeunesse (Allen, 2010 ; Bride, Jones & MacMaster, 2007 ; Cornille & Meyers, 1999), f) les intervenants de centre d’appels téléphoniques (Dunkley & Whelan, 2006a) et g) les thérapeutes travaillant avec les personnes victimes de traumatismes (Bourassa, 2009 ; Chrestman, 1995 ; Craig & Sprang, 2009 ; Doman, 2010 ; Follette et al, 1994 ; Gentry, 2002 ; Kassam- Adams, 1995 ; Pearlman & Mac Ian, 1995 ; Shalvi, Shenkman, Handgraaf & Dreu, 2011). Toutefois, l’étude de Schauben et Frazier (1995) réalisée auprès de 148 intervenants ainsi qu’une étude similaire de Johnson et Hunter (1997) démontrent que les travailleurs interagissant le plus souvent avec des victimes de violence sexuelle présenteraient plus de symptômes de TV. D’ailleurs, une étude australienne réalisée auprès de 300 professionnels oeuvrant en santé mentale souligne que 27 % d’entre eux éprouvent une détresse extrême due au travail et que 18 % sont atteints de FC (Meldrum, King & Spooner, 2002). Selon Figley (1995), la majorité des intervenants en relation d’aide se situent à un niveau de risque modéré (23,5 %), élevé (29,4 %) ou extrêmement élevé (20,6 %) de développer la FC. De plus, Cornille et Meyers (1999) stipulent que le stress traumatique secondaire, qui fait partie du processus menant à la fatigue de compassion et au traumatisme vicariant, affecte 37 % des travailleurs sociaux de la protection de la jeunesse. Pour sa part, Dalton (2001) obtient des résultats similaires en statuant que 38 % des 210 travailleurs sociaux de divers milieux de travail ayant participé́ à son étude sont également touchés par le stress traumatique secondaire à un niveau modéré ou élevé. »
(1) Mémoire présenté à l’Université du Québec à Chicoutimi comme exigence partielle de la maîtrise en travail social offerte à l’Université du Québec à Chicoutimi en vertu d’un protocole d’entente avec l’Université du Québec en Outaouais par Mme Cindy Fortin – « Le vécu professionnel des intervenants de la relation d’aide – Les facteurs d’influence de la fatigue de compassion et du traumatisme vicariant », mars 2014.
(2) Faculté de médecine Henri Warembourg –Thèse pour le diplôme d’état de docteur en médecine – « Traumatisme vicariant, stress traumatique secondaire et fatigue de compassion : une revue systématique de la littérature autour de ces concepts chez les professionnels de santé mentale », présentée et soutenue publiquement le 21 avril 2017
Dans cette étude comme dans d’autres, on y constate la prévalence de trouble de santé mentale chez les répartiteurs médicaux d’urgence (voir également Université Lille 2 – Droit et santé)2 :
« (…) on constate aisément une chose, les répartiteurs médicaux d’urgence sont un groupe de travailleur à risque en matière de santé mentale, pour des diagnostics beaucoup plus étendus que celui de l’état de stress post-traumatique.
On y constate la prévalence du syndrome vicariant, du choc post-traumatique secondaire, de la dépression notamment, des diagnostics, dont l’apparition, n’est pas reliée aux mêmes causes que l’état de stress post-traumatique
La situation des répartiteurs se retrouve donc à être légèrement différente des autres intervenants d’urgence, c’est la relation d’aide, d’écoute, vivre l’urgence avec un sentiment d’impuissance qui use le travailleur à long terme. »
Cette problématique particulière était décrite par la psychologue Sophie Debauche (3) :
« La confrontation au vécu de nos patients traumatisés peut avoir chez le soignant des effets cumulatifs et permanents : ceux-ci se répercutent sur la vie tant professionnelle que personnelle du thérapeute. »
Cet épuisement, cette fatigue qui contribue à l’identification de plusieurs diagnostics de santé mentale telles que le démontraient les études précitées constitue un problème important de santé pour lequel le présent projet de Loi 59 n’offre pas de solution. Plus encore, les travailleurs sont victimes d’une forme de discrimination lorsque vient le temps de faire reconnaître des troubles de santé mentale par la CNESST, nous y reviendrons.
Nous avons donc élaboré sur la réalité des répartiteurs médicaux d’urgence et des prévalences de leur problématique dans la nouvelle législation.
Pour ce qui est des paramédics, le problème est similaire. En effet, le type de problématique de santé mentale qui est prévalant chez les paramédics est nettement plus large que le diagnostic d’état de stress post-traumatique.
À ce titre, nous souhaitons attirer votre attention sur les études suivantes (4) :
« [Royal Canadian Mounted Police], correctional workers, and paramedics were generally significantly more likely to experience all mental disorders, except AUD [alcohol use disorder], when compared with municipal/provincial police. (p. 6)
The current frequency of positive screens among PSP […] is much higher than the frequency of diagnosed mental disorders in the general population […] Similarly, paramedics report experiencing very high rates of exposure to human suffering for which they often feel responsible, potentiating substantial emotional stress. (p.7) »
(3) DEBAUCHE Sophie, «Le traumatisme par procuration ou traumatisme vicariant », https://www.mieux-etre.org/Le-traumatisme-par-procuration-ou-traumatisme-vicariant.html
(4) Carleton, R. N. & autres (2018). Mental disorder symptoms among public safety personnel in Canada. The Canadian journal of Psychiatrie. 63(1), p. 54-64. https://doi.org/10.1177/0706743717723825.
L’exposition à la détresse et aux émotions humaines n’est pas reconnue à sa juste valeur comme facteur de risque pour les intervenants d’urgence. Nous soumettons que le projet de Loi 59 actuel ne corrige en rien cette problématique de santé pour nos membres.
Les conséquences de la détresse psychologique des travailleurs sont dramatiques. Ces conséquences sont bien étudiées et ne doit pas passer sous silence (5) :
« Paramedics and Correctional Workers reported the highest prevalence of past-year and lifetime suicidal behaviors. […]
In general, Paramedics reported statistically significantly higher past-year and lifetime suicidal behavior prevalence than all other PSP categories (p. 4) In contrast, prevalence of lifetime self-reported suicide attempts among Correctional Workers (8.1%), Paramedics (9.8%), and Call Centre Operators/Dispatchers (8.6%) appear higher than previous estimates. […] (p. 8).
A recent study suggested a substantial portion of PSP screened positive based on self-reported measures for one or more mental health disorders, with positive screening for depression being very common for Correctional Workers, Paramedics, and Call Centre Operators/Dispatchers […]. High prevalence of depression, posttraumatic stress disorder, and substance abuse could contribute to the high rates of suicidal behaviors (p. 8)
Paramedics may be particularly likely to witness human suffering that they feel personally accountable to relieve […] Call Centre Operators and Dispatchers may experience a greater sense of helplessness coupled with exposure to suffering and a sense of personal accountability. (p. 8) »
Tel qu’indiqué dans les études précitées, le sentiment de responsabilité chez les RMU/paramédics est important et contribue certainement à exacerber le sentiment d’impuissance qui provoque la détresse psychologique.
(5) Carleton, R. N., Afifi, T. O., Turner, S., Taillieu, T., LeBouthillier, D. M., Duranceau, S., . . . Asmundson, G. J. G. (2018). Suicidal ideation, plans, and attempts among public safety personnel in Canada. Canadian Psychology/Psychologie canadienne, 59(3), 220- 231. http://dx.doi.org/10.1037/cap0000136 .
Les travailleurs ont donc besoin d’une présomption dans la loi qui tienne compte des divers diagnostics associés à leur profession et également qui facilite réellement l’indemnisation.
Nous sommes d’avis que l’intégration de l’état de stress post-traumatique à l’annexe des présomptions est un pas dans la bonne direction qui reconnait l’existence de la problématique en matière de santé mentale chez certains travailleurs.
Nous souhaitons, pour les raisons énumérées ci-haut, que la présomption comporte plusieurs diagnostics reliés à la santé mentale et non seulement le diagnostic d’état de stress post-traumatique comme c’est le cas dans le projet de Loi 59. Nous y reviendrons dans les recommandations.
Nous souhaitons aborder un second volet de la présomption, telle que libellée dans le projet de Loi 59. C’est, en quelque sorte, son inutilité à remplir sa fonction d’alléger le fardeau de preuve des travailleurs victimes de lésions psychologiques.
Nous soumettons que le DSM 5 est l’autorité actuelle en matière de diagnostic psychologique.
Les événements susceptibles de causer la lésion d’état de stress post-traumatique selon le DSM5 sont les suivants :
« A. Exposition à la mort effective ou à une menace de mort, à une blessure grave ou à des violences sexuelles d’une (ou de plusieurs) des façons suivantes :
1. En étant directement exposé à un ou à plusieurs événements traumatiques.
2. En étant témoin direct d’un ou de plusieurs événements traumatiques survenus à d’autres personnes.
3. En apprenant qu’un ou plusieurs événements traumatiques sont arrivés à un membre de la famille proche ou à un ami proche. Dans les cas de mort effective ou de menace de mort d’un membre de la famille ou d’un ami, le ou les événements doivent avoir été violents ou accidentels.
4. En étant exposé de manière répétée ou extrême aux caractéristiques aversives du ou des événements traumatiques (p.ex. intervenants de première ligne rassemblant des restes humains, policiers exposés à plusieurs reprises à des faits explicites d’abus sexuels d’enfants).
N.B. : Le critère A4 ne s’applique pas à des expositions par l’intermédiaire de médias électroniques, télévision, films ou images, sauf quand elles surviennent dans le contexte d’une activité professionnelle. »
Pour faire la preuve de sa lésion psychologique dont le diagnostic est un état de stress post-traumatique, le travailleur doit donc établir par la preuve qu’il a vécu des événements tels qu’énumérés au DSM 5.
Le travailleur se voit donc dans l’obligation d’exposer en détail les faits qui lui ont provoqués une lésion psychologique importante. La présomption est une façon dans bien des cas d’éviter au travailleur de revivre les événements souffrants en plus de facilité ses démarches dans une période extrêmement difficile.
Pourtant, à la lecture de la présomption dans le projet de Loi 59, nous constatons des faiblesses eu égard à la fonction que doit jouer une présomption mais également quant à la protection dont doivent jouir les travailleurs dans le cadre de leur travail.
La portion de l’annexe 1 traitant des troubles mentaux ne comporte qu’une seule présomption qui se lit comme suit :
« Trouble stress post-traumatique : avoir exercé un travail impliquant une exposition de manière répétée ou extrême à une blessure grave, à de la violence sexuelle, à une menace de mort ou à la mort effective, laquelle n’est pas occasionnée par des causes naturelles. »
La présomption établie dans le projet de Loi 59 nous semble extrêmement similaire aux conditions à établir pour démontrer le mécanisme de lésion afin de faire reconnaitre le diagnostic d’état de stress post-traumatique. Tel que nous l’avons vu précédemment, le DSM 5 établit les éléments à démontrer pour être indemnisé par la CNESST Si la preuve à faire pour obtenir la présomption et celle pour être indemnisé sans présomption en fonction des critères scientifiques établis est la même, on peut aisément conclure que la présomption n’a pas d’utilité et qu’elle ne remplit pas sa fonction de facilité le fardeau de preuve des travailleurs.
Le concept de « mort naturelle » nous semble par ailleurs d’une très grande ambiguïté. Quel type de mort serait alors considéré comme « non naturelle » pouvant ainsi être régie par la présomption?
Un groupe d’enfants asphyxiés dans l’incendie d’un cinéma serait-il considéré comme une mort naturelle? Les manoeuvres effectuées par les paramédics sur un adolescent en détresse respiratoire à la suite d’une maladie pulmonaire et pour lesquelles il décèderait ne serait pas un événement admissible malgré son caractère traumatisant?
Cet élément nous laisse perplexes et nous ramène à l’époque où les intervenants de la CNESST, et même parfois les tribunaux, demandaient aux paramédics d’associer leur détresse à des événements spectaculaires et à la description de scènes macabres. Alors que parfois, c’est le contact quotidien qui use les travailleurs. Nous pensons aux paramédics qui pourraient être présents lors d’une intervention en présence des parents qui voient leur enfant mourir. Cette situation d’une grande intensité pour nos membres est susceptible de provoquer une détresse chez les travailleurs, que cette mort soit due à une maladie chronique ou à une tentative de suicide n’a pas d’importance. Cette portion de la présomption envoie clairement le message que ce qui peut affecter les travailleurs doit révéler un caractère extraordinaire. À défaut de quoi, ils sont partiellement responsables de ne pas supporter ces événements qui font partie de leur travail.
Afin d’améliorer le projet de Loi 59 et répondre aux préoccupations des membres en matière de santé mentale, nous souhaitons donc voir la présomption élargie à d’autres diagnostics, tels le syndrome vicariant et la dépression. Plus encore, nous souhaitons que la présomption soit rédigée de façon à réellement aider les travailleurs.
Nous constatons que la législation ontarienne répond plus adéquatement à nos interrogations.
La législation ontarienne va donc identifier les professions qui peuvent bénéficier de la présomption, ce qui rend beaucoup plus efficace cette présomption. En effet, l’objectif étant de ne pas avoir à déterminer le lien entre la maladie et la profession. Par conséquent, si la maladie diagnostiquée fait partie de l’annexe et que la profession du travailleur aussi, le lien causal est automatiquement présumé. Dans ce cas, la présomption remplit pleinement son rôle de remplacer l’obligation du travailleur d’effectuer une preuve de relation.
La liste des professions en Ontario qui peuvent bénéficier de la présomption répond au champ d’application (6) :
« (2) Le présent article s’applique à l’égard des travailleurs suivants :
1. Les pompiers à temps plein.
2. Les pompiers à temps partiel.
3. Les pompiers volontaires.
4. Les enquêteurs sur les incendies.
5. Les agents de police.
6. Les membres d’une équipe d’intervention d’urgence.
7. Les auxiliaires médicaux.
8. Les ambulanciers.
9. Les chefs de service d’ambulance.
10. Les travailleurs d’un établissement correctionnel.
11. Les travailleurs d’un lieu de garde en milieu fermé ou d’un lieu de détention provisoire en milieu fermé.
12. Les travailleurs s’occupant de répartition.
13. Les membres de l’Ordre des infirmières et infirmiers de l’Ontario qui fournissent des soins directement aux patients et qui ne sont pas des travailleurs visés à la disposition 10 ou 11.
14. Les huissiers provinciaux nommés en vertu de la Loi sur le ministère des Services correctionnels. »
(6) Ontario – Loi de 1997 sur la sécurité professionnelle et l’assurance contre les accidents du travail, LO 1997, c. 16, annexe A.
(Nos soulignements)
Les répartiteurs médicaux d’urgences et les paramédics y sont spécifiquement mentionnés. Nous recommandons la reprise de cette liste au Québec.
D’autres législations comme la Saskatchewan ont élargi quant à eux la présomption à toutes les lésions psychologiques (7).
C’est pourquoi nous recommandons ces deux (2) modifications dans l’annexe 1.
Nous ne pouvons passer sous silence le fardeau démesuré qui repose sur les travailleurs lors de leur tentative de se faire indemniser en matière de lésion psychologique. En effet, il est demandé aux salariés de démontrer que les événements qu’ils ont vécus sortent du cadre normal de leur travail. Les intervenants d’urgence ne peuvent constituer un cadre normal de travail. Les situations sont par nature urgentes et imprévisibles.
Nous ne pouvons concevoir que le fardeau imposé en matière de lésion psychologique ne soit plus élevé qu’en matière de lésion physique.
C’est pourtant le cas, mais qui oserait sérieusement prétendre qu’un travailleur ne peut pas se blesser au dos en soulevant de l’équipement parce que cela s’est fait dans le « cadre normal de son travail ». Bien évidemment personne, pourtant c’est exactement ce que l’on fait subir aux travailleurs en matière de santé mentale.
Le message transmis aux intervenants qui doivent démontrer que les événements vécus sortent du cadre normal de travail est que dans la mesure où les événements ne sont pas extraordinaires, ils doivent supporter seuls les conséquences de leur état parce qu’ils en sont responsables. Cela contribue fortement à la stigmatisation des troubles mentaux dans la profession.
3. LES TROUBLES MUSCULO-SQUELETTIQUES
Une autre modification très importante du projet de Loi 59, est la présomption de lésion musculo-squelettique dans l’annexe 1.
(7) Saskatchewan – The Workers’ Compensation Act, 2013 SS 2013, c. W-17.11, Lien : https://www.canlii.org/en/sk/laws/stat/ss-2013-c-w-17.11/latest/ss-2013-c-w. 12
Ce phénomène touche beaucoup les membres de la fédération, notamment les répartiteurs médicaux d’urgence. Une étude de L’IRSST établissait une prévalence des troubles musculo-squelettiques chez les répartiteurs du 9-1-1 (8) :
« Les résultats d’études épidémiologiques menées chez les télé-opérateurs indiquent une prévalence élevée de symptômes de TMS (Claisse et al., 1992 ; Hoekstra et al., 1995 ; Hurrell et al., 1996). Celle-ci peut atteindre jusqu’à 68 % des télé-opérateurs (Hoekstra et al., 1995). Ces symptômes sont associés à une grande variété de facteurs physiques et psychosociaux. De manière générale, les facteurs physiques rapportés dans ces études sont semblables à ceux mentionnés dans les études concernant l’usage de l’ordinateur (Knave et, al., 1985 ; Burt et al., 1990 ; Carter et al., 1994 ; Faucett et al. , 1994 ; Ong et al., 1995 ; Bergqvist et al., 1995 ; Tittiranonda et al., 1999 ; Gerr et al., 2002 ; Karlqvist et al. 2002 ; Seghers et al., 2003). Ces facteurs physiques peuvent être classés selon qu’il s’agit de l’inadéquation de l’aménagement du poste de travail, de la chaise et de la durée d’exposition aux contraintes engendrées par ces deux premiers facteurs. Toutefois, dans le contexte de travail des préposés des centres d’urgence 9- 1-1, ces facteurs physiques se caractérisent par des problématiques particulières. Notamment, les problèmes d’aménagement du poste de travail qui représentent des risques de TMS chez les télé-opérateurs (Claisse et al., 1992 ; Hoekstra et al., 1995 ; Hurrell et al., 1996) ne concernent pas simplement la disposition des équipements usuels nécessaires à l’utilisation de l’ordinateur. En effet, les préposés des centres d’urgence 9-1-1 utilisent généralement beaucoup plus d’équipements. Ils peuvent disposer de plusieurs écrans, de plusieurs téléphones, d’un standard téléphonique, d’un système radio, d’un système de communication avec les malentendants, de plusieurs sources de documentation, etc. Ainsi, la problématique d’aménagement du poste de travail de préposé des centres d’urgence 9-1-1 apparaît plus complexe que le travail de bureau avec un ordinateur. Également, les préposés utilisent des casques d’écoute téléphonique dont une étude chez les télé-opérateurs a montré́ l’association avec des TMS Choffat (1999). »
On y constate qu’un des facteurs majeurs de cette analyse est le positionnement du travailleur et l’aménagement de son poste de travail. Pourtant les notions de postures ne se retrouvent pas dans l’annexe 1. Plus encore, la rédaction du nouvel article de l’annexe pour la présomption des maladies musculo-squelettiques laisse présager que les tribunaux pourraient s’écarter de la jurisprudence actuelle qui intègre la notion de position et de contrainte dans l’établissement de la présomption.
(8) Étude de la prévalence des troubles musculo-squelettiques et psychologiques, des facteurs physiques et psychosociaux chez les préposés des centres d’urgence 9-1-1.
Le nouveau projet de Loi 59 intègre la définition suivante :
« Avoir exercé un travail impliquant des répétitions de mouvements ou de pressions sur des périodes de temps prolongé et qui doit avoir été exercé pendant une période minimale de deux mois consécutifs.
Si la force n’est pas sollicitée, au moins 50 % du temps travaillé à l’intérieur d’un quart de travail doit consister à répéter le même mouvement ou la même séquence de mouvements ou de pressions qui sollicite la structure anatomique ou le muscle atteint.
La durée d’exposition quotidienne peut-être inférieure à 50 % du temps travaillé s’il y a combinaison de répétitions de mouvements et forces exercées, qui sollicitent la structure anatomique ou le muscle atteint, ou lorsque le cycle de travail est très court et la cadence très rapide. »
Cette rédaction est extrêmement limitative en comparaison aux dispositions actuelles de la loi, mais également eu égard à l’évolution jurisprudentielle.
Dans le cas des répartiteurs, le projet semble écarter de la présomption la question des positions ergonomiques alors même qu’elles se justifient scientifiquement notamment par l’étude épidémiologique de l’IRSST précédemment citée. Il s’agit d’un recul important dans la protection des travailleurs qui ne peut s’expliquer sur une base objective. Il est d’autant plus étonnant que l’aspect où l’employeur a le plus de contrôle relativement aux facteurs de risque en matière de lésions musculo-squelettiques est certainement l’ergonomie de ses espaces de travail.
En effet, l’ergonomie est un élément qui peut être corrigé par un employeur.
Nous nous inquiétons du message qui est lancé auprès des employeurs en n’intégrant pas la notion d’ergonomie ou de posture dans la présomption. La conséquence ne serait-elle pas de déresponsabiliser les employeurs qui n’offrent pas d’ergonomie conforme aux normes dans le cadre du travail.
Les autres facteurs qui déclenchent la présomption ont été extrêmement resserrés à tel point que, malgré des études qui démontrent la forte prévalence pour les répartiteurs, ceux-ci auront du mal à obtenir les bénéfices de la présomption.
Cette exclusion touche également les paramédics qui doivent souvent travailler dans des positions non ergonomiques notamment dans les véhicules ambulanciers alors qu’ils doivent effectuer des manoeuvres dans le compartiment arrière du véhicule ou encore quand les transports hospitaliers peuvent se faire en centre hospitalier de régions différentes, des déplacements qui peuvent donc durer plusieurs heures à l’intérieur du véhicule.
Par conséquent, le projet de Loi 59 écarte ce qui était reconnu en jurisprudence et cela ne constitue qu’une difficulté supplémentaire dans l’indemnisation des travailleurs et une bénédiction pour les employeurs qui ne se soucient pas des positions ergonomiques offertes aux travailleurs.
Afin d’améliorer le projet de Loi 59, nous sommes d’avis que l’ergonomie des postes de travail doit être un facteur considéré dans l’établissement de la présomption. Nous recommandons de cristalliser la jurisprudence9 à cet effet dans l’annexe et d’intégrer une position non ergonomique comme étant un facteur pouvant activer la présomption de maladies musculo-squelettiques. Nous sommes également d’avis que le projet de Loi 59 ne doit pas aller de l’avant avec les modifications de l’annexe 1 actuellement puisqu’il dénature totalement la présomption en créant un fardeau si lourd pour les travailleurs qu’il annihile toute utilité à cette disposition.
4. CONCLUSION
La Loi sur la santé et sécurité du travail, comme la Loi sur les accidents du travail et maladies professionnelles ont un caractère social. Elles constituent à la fois des outils de prévention et de réhabilitation pour les travailleurs.
L’indemnisation est un volet important de la loi, l’admissibilité du travailleur aux régimes ouvre la porte vers les services auxquels il a droit et qui lui permettront d’améliorer ses capacités résiduelles de travail ou de revenir sur le marché du travail par l’entremise d’une réadaptation sociale, par exemple.
Pourtant le projet de Loi 59 ne semble pas améliorer les protections accordées aux travailleurs. En effet, l’exemple des lésions musculo-squelettiques est frappante. Les présomptions qui facilitaient la preuve pour éviter que des individus se retrouvent à devoir exercer leur droit avec des experts dont les frais dépassent largement les moyens des travailleurs sont modifiées à un point tel que leur utilité est remise en doute. Dans cette optique, le projet de Loi 59 constitue un net recul pour la protection des travailleurs et n’est nullement acceptable dans les circonstances.
Pour ce qui est des lésions psychologiques, nous sommes d’avis que le temps est venu de réellement leur accorder un statut dans la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, un statut qui n’est pas qu’un ensemble de dispositions symboliques sans réel impact pour les travailleurs.
Les prévalences dans les professions de nos membres sont bien établies, et les données scientifiques objectives devraient être un indicateur important à suivre pour revaloriser le projet de Loi 59 qui constitue actuellement une rupture avec les compromis historiques dont elles faisaient l’objet et un acquiescement total aux demandes de réductions des protections des travailleurs effectuées par les employeurs.
M. Daniel Chouinard,
président Fédération des employés du préhospitalier du Québec